27.4.06

Crise Systémique Globale : OTAN 2006 - L’année de la dilution globale et du découplage UE/USA

Riga, 28-29 Novembre 2006 - Le prochain sommet de l’OTAN [1]- qui étant donnée sa localisation sur un territoire anciennement russe et soviétique se veut le symbole même du succès de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord - risque de passer à la postérité comme le Sommet qui aura vu deux tendances contradictoires emporter l’Alliance dans la tourmente de la crise systémique globale affectant la planète, et de symboliser pleinement « la fin de l’Occident tel qu’on le connaît depuis 1945 ».

C’est l’analyse longuement développée par l’équipe de LEAP/E2020 dans la dernière livraison de leur GlobalEurope Anticipation Bulletin (GEAB N°4) qui traite également d’autres sujets comme les secteurs « à suivre ou à quitter » pour les investisseurs perdus dans la crise systémique globale en cours. La crise bénéficie d’ailleurs désormais de sa chronique mensuelle au sein de cette lettre confidentielle de LEAP/E2020. Mais pour cette édition, l’équipe de recherche a décidé de se concentrer sur l’aspect stratégico-militaire de la crise systémique globale (développant même un nouvel indicateur synthétique sur l’évolution de l’opinion publique européenne par rapport aux questions de défense : TIDE Extérieur/Défense), confirmant désormais son statut de seule et unique lettre d’anticipation politique en Europe, à contenu transdisciplinaire (économie, stratégie, finance, politique, …).

Les aspects économiques, financiers ou monétaires ne constituent en effet que trois des sept facettes de cette crise identifiée par l’équipe de recherche de LEAP/E2020 et annoncée dans le « GlobalEurope Anticipation Bulletin » de Février 2006. Au passage, on peut souligner qu’en deux mois seulement, le dollar a déjà perdu 10% de sa valeur par rapport à l’Euro et 15% par rapport à l’or. Parallèlement l’immobilier américain est en plein effondrement et en ce qui concerne l’Iran, l’impasse est telle que les Etats-Unis laissent désormais planer la menace d’attaques nucléaires ciblées. 1945-2006, les deux bornes d’un ordre du monde désormais obsolète seront-elle également les deux seules années d’utilisation de l’arme nucléaire ?

Toujours est-il qu’au-delà de la crise iranienne qui ne manquera pas d’affecter en les accélérant toutes les évolutions en cours, cette année voit également se catalyser une crise stratégique et militaire de premier ordre pour l’OTAN autour de trois facteurs clés : le problème du développement et du financement de « l’avion de combat du XXI° siècle », le Joint Strike Fighter (JSF) [2]; la perception divergente des menaces entre Européens et Américains ; la crise de confiance de l’opinion publique et des décideurs européens en l’aptitude et la compétence des Etats-Unis à assumer un leadership efficace et responsable de l’Alliance.

L’Alliance est malade. C’est un lieu commun que les communiqués officiels ne parviennent guère à cacher, et la relance de l’OTAN ou la redéfinition de ses missions sont même devenus des thèmes imposés dans les rencontres transatlantiques. Cette maladie tient essentiellement à la disparition de sa principale raison d’être : la lutte contre un ennemi mortel commun pour les Américains et les Européens de l’Ouest, à savoir l’ex-URSS.
Depuis la chute du Rideau de Fer, l’OTAN ne sait plus très bien à quoi elle sert. On la convoque pour protéger les Jeux Olympiques d’Athènes ou de Turin, pour transporter de l’aide dans le Tiers Monde ou pour agir ponctuellement sur des crises limitées (Kosovo, sécurisation de l’Afghanistan,…); mais sur les deux grandes opérations militaires de la décennie passée, elle était absente. Les Etats-Unis n’en ont pas voulu pour attaquer l’Afghanistan après le 11 Septembre 2001 (malgré les offres européennes). Et les Européens n’ont pas voulu l’activer lors de l’invasion de l’Iraq en 2003 (malgré la demande américaine).

Une alliance stratégique qui ne fonctionne pas lors des évènements militaires majeurs, car tantôt l’un tantôt l’autre des partenaires ne veut pas qu’elle soit activée, est une alliance qui n’a plus rien de stratégique. La question se pose désormais de savoir si c’est encore une alliance, ou si imperceptiblement l’OTAN n’est pas en train de se transformer en autre chose.

Pour l’équipe LEAP/E2020, la transformation en « autre chose » est déjà en cours. Et l’année 2006, à cause de la crise iranienne, mais également pour toute une série d’autres facteurs, dont trois particulièrement importants (JSF, menaces, méfiance) seront développés dans ce « GlobalEurope Anticipation Bulletin », va voir l’Alliance étendre politiquement son aire géographique et s’engager dans la voie d’une « alliance mondiale des démocraties » tandis que l’organisation militaire devra laisser les Européens accélérer le développement d’une défense commune indépendante de l’Alliance.

Ces évolutions seront perçues comme positives par un grand nombre d’acteurs au sein même de l’OTAN comme dans le reste du monde : l’extension géographique résulte notamment d’une volonté affirmée de Washington [3]; quant à l’accélération du développement d’une défense commune européenne indépendante, c’est le souhait d’une immense majorité des Européens depuis de nombreuses années [4].
Cela illustre parfaitement combien la crise systémique majeure qui affecte la planète n’est pas en soi porteuse de catastrophes et de problèmes uniquement. Elle constitue un « point de passage » historique entre deux périodes plus stables. Mais le processus va affecter de manière souvent imprévue (et non pas imprévisible) les acteurs eux-mêmes, car un acteur dominant peut très bien parvenir à faire adopter une décision qu’il souhaite, tout en étant ensuite désagréablement surpris par les conséquences réelles de cette même décision.
L’exemple de l’invasion de l’Iraq est déjà sous nos yeux pour illustrer cette situation, et il semblerait qu’au sujet de l’OTAN, une partie des évolutions anticipées par LEAP/E2020 soient du même ordre : les réformes que souhaite Washington risquent d’aboutir en fait à un formidable affaiblissement de l’Alliance elle-même et du poids stratégique de Washington en Europe et dans le monde, et de rompre le « pacte transatlantique » qui a permis la prééminence américaine mondiale depuis 1945. D’ici la fin 2006 on va assister à la mise en place de ce que l’URSS avait échoué à obtenir : le découplage des défenses européenne et américaine.

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1. http://www.latvia-usa.org/nexnatsumof2.html

2. http://www.jsf.mil/

3. Comme l’a encore rappelé le 28 Mars dernier Kurt Volker, Deputy Assistant Secretary for European and Eurasian Affairs du Département d’Etat américain, lors d’une intervention à la Naval Postgraduate School de Monterey (Californie) (http://www.state.gov/p/eur/rls/rm/63860.htm )

4. Le GlobalEuromètre d’Avril 2006 confirme cette tendance lourde et indique que 83% des sondés souhaitent une défense européenne commune, et 88% d’entre eux pensent que l’extension géographique de l’OTAN renforce la nécessité de cette même défense commune.